En Corse, les chemin des légendes ne traverse pas seulement des contrées givrées de reflets d’épopées et de peurs merveilleuses: aujourd’hui encore, dans des villages du bout du temps, les signadore pourchassent les esprits malfaisants et guérissent parfois les hommes et les bêtes en égrenant leurs prières magiques; à travers des forêts où les arbres sont plus que des arbres, chasseurs d’âmes et bergers des morts, les mazzeri hantent toujours les rives des torrents; les eaux troubles où, toujours aussi monstrueuse, gît la biscia, sont peut-être aussi le marécage des peuples sans mémoire, ceux qu’on a amputé de leur surnaturel…
C’est en tout cas ce qu’on est tenté de croire en cette île où, pour ne pas être orphelin de son âme, l’homme compose avec ses mirages. C’est pourquoi la frontière entre l’imaginaire et le réel y est plus incertaine qu’ailleurs: au carrefour de l’histoire et du mythe, Cardone, vieux, infirme, dérisoire, à sa manière de refuser le versement de l’impôt des deux seini au collecteur génois, déclenche une révolution; le temps d’un banquet nocturne, en travestissant les siens des tares dont les accuse l’oppresseur, Pompiliani donne à une dragonade un dénouement innatendu. Et ainsi, tour à tour, côtoyant burlesque ou tragédie, héros authentiques et bouffons, prélats ventripotents et soudards, magiciens et malebêtes, filles lunaires ou es ténèbres enfourchent contes et légendes.
Pour les hommes et les femmes de cette île, de leurs angoisses, de leurs espoirs, ils sont autant de clés, de passerelles, de miroirs eu de signaux d’alarme.